LMA - Laboratoire de Mécanique et d’Acoustique

O. Poncelet - La matière molle comme voie de synthèse de métamatériaux ultrasonores, et concepts d’avenir pour repousser leurs limites physiques

Salle J. Perès, Bât. C

Le 25 mars 2014 de 11h00 à 12h00

Olivier Poncelet, Chargé de Recherche

Département d’Acoustique Physique (APY) de l’Institut de Mécanique et d’Ingénierie – Bordeaux (I2M – UMR CNRS 5295)

Jusqu’aux années 2000, la voie principale pour le contrôle des ondes électromagnétiques et élastiques était basée sur l’emploi de milieux périodiques : cristaux photoniques (pour l’optique) et cristaux phononiques (pour l’acoustique). Ces matériaux présentent un contraste périodique de propriétés du milieu, matérialisé par une répartition périodique (1D, 2D ou 3D) d’inclusions ou de cavités. Ce concept repose sur l’utilisation des propriétés particulières de dispersion des ondes de Bloch-Floquet se propageant dans des structures périodiques : indice (de réfraction) imaginaire pur (bandes interdites), indice négatif (bandes à dispersion négative)… Le contrôle des gradients d’indice autorise par ailleurs la manipulation de champs. Toutefois, le potentiel des milieux périodiques est limité par leurs propres régimes de fonctionnement fréquentiel qui sont tels que les longueurs d’ondes associées sont de l’ordre de grandeur de la maille élémentaire du milieu. À ces fréquences, la nature multimodale du champ parasite fortement les fonctionnalités escomptées de ces matériaux lorsqu’ils sont couplés à des milieux adjacents (effets de réseaux – diffraction de Bragg).
Une voie alternative est l’utilisation d’inclusions extrêmement diffusantes aux grandes longueurs d’ondes dans la matrice porteuse (principe des résonateurs locaux basses-fréquences), pour contrôler et modifier drastiquement les propriétés macroscopiques de propagation des ondes (cohérentes). Compte tenu des tailles très petites de ces résonateurs locaux (k0a << 1), le milieu de propagation peut être considéré maintenant comme un milieu homogène dont les propriétés effectives sont directement gouvernées par les propriétés des résonateurs. Ainsi des propriétés acoustiques nouvelles peuvent être envisagées tout en s’affranchissant des inconvénients liés à l’organisation spatiale éventuelle des inclusions, inhérente aux structures strictement périodiques. Cette approche conceptuelle dite des métamatériaux, en rupture avec les cristaux périodiques traditionnels, est une voie de recherche très récente et tire sa faisabilité technologique de la possibilité de fabrication effective de micro-résonateurs suffisamment efficaces. Les applications escomptées sont nombreuses et les plus en vue sont très probablement : la lentille parfaite à indice négatif pour l’imagerie sub-longueur d’onde, le film parfaitement absorbant ou réfléchissant extrêmement mince, et enfin les milieux à indice nul (célérité de phase infinie ou phase constante spatialement sur toute la distance de propagation) pour le beamforming.

L’objet de ce séminaire est de présenter dans un premier temps des travaux récents effectués sur le campus bordelais par un consortium d’ultrasonistes (I2M) et de chimistes de la matière molle (CRPP, LOF, LCPO) oeuvrant dans la fabrication de prototypes de métamatériaux localement résonants de type fluide dans la gamme ultrasonore. Contrairement à la gamme audible pour laquelle des prototypes de métamatériaux acoustiques pour l’absorption sonore ont été réalisés, tels que des panneaux 2D constitués de résonateurs centimétriques [1], la gamme ultrasonore est pauvre en réalisations concrètes malgré l’intérêt technologique que peut susciter l’imagerie sub-longueur d’onde au MHz. Là où l’usinage mécanique échoue pour fabriquer des résonateurs sub-millimétriques, les techniques de la matière molle (micro-fluidique, auto-assemblage, émulsification) offrent la possibilité de produire des particules en grandes quantité sur plusieurs décades de taille (1µm-1mm), et d’une grande variété de formes, de structures et de compositions. Nous reportons ici la démarche incrémentale, dont la cible ultime est la production contrôlée d’un matériau acoustique d’indice « exotique », à travers les premiers résultats concernant l’obtention d’émulsions quasi-monodisperses de gouttelettes d’« huile lente » (500 m/s comparativement à la célérité du son dans la matrice aqueuse) exhibant une collection nette et étendue de résonances de Mie dans leur réponse acoustique. Il est aussi montré que les propriétés acoustiques résonantes de ce type d’émulsions peuvent être commandées en ligne par l’application d’un stimulus magnétique externe lorsque les gouttelettes (ferro-fluide) sont dopées en particules magnétiques [2,3]. Toutefois, afin d’atteindre les propriétés dites de métamatériaux (indice nul, négatif), nous avons développé une autre voie de développement et de synthèse à travers la production et l’utilisation de résonateurs de Mie possédant une célérité du son beaucoup plus basse (< 100m/s, contraste de 15 avec la matrice) [4].
Enfin, même si les concepts de métamatériaux actuels semblent offrir un nouveau panel très prometteur de propriétés pour la propagation des ondes élastiques, il n’en reste pas moins que leurs potentialités théoriques sont limitées : célérité de groupe bornée, régime propagatif assuré à la limite quasi-statique (branche fondamentale)… C’est l’objet de la deuxième partie de cet exposé de montrer comment des structures piézoélectriques couplées à des systèmes électriques complexes [5,6] peuvent outrepasser les limites usuelles de la physique des ondes. Ces derniers travaux théoriques et exploratoires ont vocation à définir une nouvelle génération de métamatériaux aux propriétés étendues et commandables.

Bibliographie

[1] J. Mei et al., Nature Comm. 3, 756 (2012)

[2] T. Brunet et al., Phys. Rev. Lett. 111, 264301 (2013)

[3] Zimny et al., J. Mater. Chem. B, 2014, 2, p. 1285

[4] T. Brunet et al., Science 342, 323 (2013)

[5] V.I. Alshits & A.L. Shuvalov, JETP 76(4), 663-670 (1993)

[6] S. Degraeve et al., 21e Congrès Français de Mécanique, Bordeaux (2013)